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Article du journal Le Point 06/04/2023
Interdit en 2020, ce fongicide est encore détectable dans l’eau du robinet, ce qui n’est ni une surprise ni un scandale. Décryptage d’une tempête dans un verre d’eau.
Fongicide efficace et bon marché, le chlorothalonil a été utilisé pendant des décennies sous de multiples formes, allant des préparations phytosanitaires pour les cultures (marque Bravo) aux peintures antifouling des plaisanciers, en passant par des enduits de protection des boiseries. Sa toxicité pour les milieux aquatiques étant évidente, il a été interdit pour les peintures antifouling par un arrêté du 21 août 2008. Plusieurs études ont montré qu'il restait détectable à l'état de trace dans le milieu marin des années plus tard (comme dans cette étude réalisée sur le bassin d'Arcachon en 2013).
Aucune surprise. Distrait ou désinvolte, un seul plaisancier ayant conservé un vieux pot de peinture suffisait à disséminer des résidus dans un vaste périmètre. Ces résidus apparaissent souvent sous forme de métabolites, c'est-à-dire des composés organiques issus de la dégradation de la substance recherchée.
En mars 2019, l'Union européenne a décidé d'interdire la commercialisation du chlorothalonil au 31 décembre, avec possibilité d'emploi jusqu'au 20 mai 2020. L'UE basait sa décision sur un avis de l'agence sanitaire européenne (Efsa). Celle-ci avait formulé plusieurs critiques sur le produit. La plus importante concernait son impact bien documenté sur les milieux aquatiques. En ce qui concerne le danger des résidus de chlorothalonil et de ses métabolites pour les humains, l'Efsa était prudente. La substance fait partie de la catégorie 2B, « peut-être cancérigène », vaste fourre-tout de près de 300 substances, présentes dans les détergents de pressing, les fumées de soudure, les légumes conservés dans le vinaigre et les feuilles d'aloe vera…
Concernant le chlorothalonil, une série d'études conduites sur des animaux ont permis d'établir que pour observer un premier effet sur la santé, les sujets devaient être soumis à des doses quotidiennes importantes – jusqu'à 153 mg/jour pour un chien de 30 kilos, et aucun effet potentiellement cancérigène n'a été observé sur les souris en deçà de 30,4 mg/kilo/jour. Mais les données manquent sur son métabolite, notamment sur sa potentielle génotoxicité – de nouvelles sont en cours. Aucune valeur sanitaire maximale (Vmax) n'a donc été établie.
« Il n'y a pas de raison de s'affoler », explique Christophe Rosin, chef de l'unité chimie des eaux au laboratoire Anses d'hydrologie situé à Nancy, qui a coordonné le premier rapport de mesure de polluants émergents dans l'eau potable, publié ce 6 avril. « Notre campagne s'est intéressée à des molécules, et notamment des métabolites de pesticides, que nous n'étions pas capables de détecter il y a encore quelques années », précise-t-il.
Christophe Rosin estime leurs résultats rassurants : « Aucun dépassement de valeurs sanitaires maximales (Vmax) n'a été observé », et « les concentrations maximales mesurées sur cette campagne sont de l'ordre de 10 à 10 000 fois plus basses que les Vmax associées, en fonction des composés », précise l'agence indépendante. Le composé le plus souvent retrouvé (dans plus de la moitié des échantillons) est donc R471811, le métabolite du chlorothalonil, ce fongicide interdit en usage agricole depuis seulement deux ans.
Dans plus d'un prélèvement sur trois réalisés par l'Anses, les quantités de ce métabolite ont dépassé la valeur seuil de 0,1 μg/L, ou microgramme par litre. Mais celle-ci ne correspond à rien de précis sur le plan sanitaire. Il s'agit d'une limite administrative, permettant d'indiquer que l'eau n'est pas pure, et qui est appliquée par défaut, en France, aux produits pour lesquels les présomptions de toxicité ne sont pas étayées. « Si nous n'avons pas de valeur sanitaire, l'Allemagne a établi un seuil de gestion pour cette molécule de 3 µg/L », explique Christophe Roisin. « C'est donc plutôt rassurant, car la valeur la plus élevée que nous ayons mesurée était de 2 µg/L, c'est-à-dire inférieure au seuil de gestion allemand. »
Une vaste analyse a été menée aux États-Unis en 2008, portant sur 3 657 agriculteurs ayant utilisé régulièrement du chlorothalonil, avec une exposition donc bien supérieure à celle de la population dans son ensemble. Ils ont été suivis sur plusieurs années. Les conclusions étaient rassurantes. Le chlorothalonil n'était « pas associé à l'incidence globale des cancers », et pas davantage à l'incidence spécifique des cancers du côlon, de la prostate ou des poumons. L'enjeu était important outre-Atlantique, car le chlorothalonil reste très utilisé pour la production de ce qui est, là-bas, un produit de première nécessité : la cacahuète.
Va-t-il falloir adapter les stations d'épuration pour filtrer la molécule ? « Cela n'aurait aucun sens ! Pas à ces niveaux de concentration. Il faut commencer par voir si la molécule disparaît dans deux ou trois ans », estime un spécialiste de la gestion de l'eau.
Au total, 136 000 analyses ont été réalisées sur 2020 et 2021, alors que la substance était en phase de retrait. Il ne fait guère de doute que des agriculteurs et des jardiniers amateurs ont fini des bidons contenant la molécule dans les semaines ou les mois suivant l'interdiction. Sans parler des boiseries traitées ou peintes, qui relâcheront probablement des molécules dans la nature pendant longtemps encore. « Certains métabolites de pesticides peuvent rester présents dans l'environnement plusieurs années après l'interdiction de la substance active dont ils sont issus », rappelle l'Anses, comme une évidence. « À partir de maintenant, nous allons pouvoir mesurer la présence de chlorothalonil dans l'environnement, et étudier en quel laps de temps il disparaît », précise le chercheur. « Nos travaux sont exploratoires et s'inscrivent dans une dynamique d'amélioration des connaissances. Il faut donner du temps à la recherche… » Dans un second temps seulement, s'il y a lieu, seront engagés des travaux d'évaluation des risques.
Car le chlorothalonil n'est pas anodin : il ne fait aucun doute qu'il est dévastateur pour la faune aquatique – c'est la raison pour laquelle il a été interdit. Mais à ce titre, c'est paradoxalement l'agriculture biologique qui doit désormais balayer devant sa porte. Il se trouve en effet que son insecticide vedette, la pyréthrine, est issu d'une fleur, le pyrèthre, cultivée sur les plateaux d'Afrique de l'Est, au Kenya, en Tanzanie, etc., ainsi qu'en Tasmanie. Or, la culture du pyrèthre requiert des quantités importantes de fongicides, parmi lesquels des chercheurs ont souvent relevé la présence d'une vieille connaissance : le Bravo, à base de… chlorothalonil. Le bio, grand consommateur indirect de fongicides…
Il faut aussi tenir compte de la puissance des outils actuels d'analyse, qui détectent aujourd'hui certaines substances à l'état de picogrammes, c'est-à-dire des milliardièmes de gramme. On parvient même à dater des grands crus à partir d'éléments issus d'essais nucléaires atmosphériques réalisés à des milliers de kilomètres… Sans que les bouteilles, pour autant, soient radioactives.
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